Élément fondamental de l'iconographie chrétienne et manifestation de la ferveur populaire, la croix nous permet de mieux appréhender l'influence de la religion dans les campagnes. En parcourant certaines régions, on est parfois surpris de rencontrer de nombreuses croix. La Bretagne en est un bel exemple, mais dans le département du Cantal, il n'y en aurait pas moins de trois mille, de la modeste croix paysanne au calvaire le plus abouti.

Pour ma part, depuis l'été 2005, j'ai décidé de partir à la rencontre des croix qui ornent chemins, route, carrefours et autres lieux de ma région natale et plus particulièrement un attachant petit "pays" qui s'étend entre la haute vallée de la Dordogne et les Monts du Cantal : la Xaintrie, "un plateau qui hésite entre Limousin et Auvergne", pour citer le plus corrézien des parisiens et non moins talentueux, l'écrivain Denis Tillinac.
Il y aurait beaucoup à dire sur cette charmante "micro-région" à cheval sur Corrèze et Cantal, proche du département du Lot et voyant passer les eaux de la Dordogne, domestiquées par plusieurs barrages et liées à l'histoire des gabariers*, mais ce sera peut-être pour un autre blog... 
*
 Toutes les photographies publiées sur ce site ont été réalisées par Pierre-Jean LESCURE et sont sa propriété exclusive.
Toute reproduction interdite.
-->

Le premier rôle d'une croix est de christianiser un lieu. Les croix témoignaient donc de l'avancée du christianisme et de la présence de l'Eglise.























Exemple de christianisation de site païen, le Rocher du Roc Roti, mégalithe de la préhistoire type menhir avec croix plantée à son sommet.(Cantal)






On raconte que le roi Louis XIV, qui était un roi pieux et peut-être un peu superstitieux, avait ordonné que sur son royaume soit plantée une croix à chaque croisée de chemins...


Au bord des routes et chemins
















Simplement posée au bord d'un mur ou trônant sur un socle massif qui supportait sans doute jadis une croix plus grande ou la même mais placée en haut d'un fût.

















Une parfaite harmonie unit parfois croix et socle.






















Intégrée au mur d'une propriété






Au bord des chemins...













Juchée sur des pierres massives










Il existe de nombreux types de croix : croix de chemins, de menhir, de limite, de village, d’église, de cimetière, de pont, de sommet, de mission, de rogations, de rameaux, de maison, de source, de fontaine, de bornage… Ces dernières, par exemple, servaient à délimiter des espaces géographiques, religieux ou administratifs tels que les paroisses, les seigneuries et autres limites de juridiction, souvent en rapport avec le droit d’asile.
Signe de protection, la croix est très représentée du XVI e siècle à nos jours. On distingue en fait les croix dues à la volonté des communautés et des croix érigées par des familles. Les premières agrémentent les bourgs et les hameaux, symbolisant la foi de la communauté. On les rencontre souvent aux carrefours, elles guident le voyageur et le protègent de l’inconnu et des mauvaises rencontres.

A la croisée des chemins





Cros de Montvert (15)

On voit donc que bon nombre croix sont d’origine très ancienne, même si le monument actuel n’a qu’un siècle ou moins. Les carrefours ont toujours fait l’objet d’une attention particulière. Il y a, en effet, un symbolisme de la croisée des chemins. Les carrefours provoquent souvent crainte et appréhension, la croix fait donc office ici de talisman. La croix tient bien sûr un rôle plus prosaïque : quand le croisement est sous la neige, la croix continue d’indiquer sa position.
IMAG0385 IMAG0235 IMAG0222
(Commune de Sexcles –19) (Commune de Mercoeur – 19) (Commune d’Hautefage – 19)
IMAG0241
IMAG0299
Auriac (19) Près de Cahus (46)
IMAG0304 IMAG0303
La croix de carrefour d’Auriac, en Xaintrie, est d’un modèle très surprenant. Il s’agit d’un obélisque surmonté d’une croix pattée, de facture postérieure. C’est probablement le lec’h le plus remarquable du Massif Central. Son allure élancée et sa taille à pans coupés permettent la comparaison avec certains lec’h bretons. Par sa forme en obélisque, la stèle d’Auriac paraît bien avoir servi de modèle pour les fûts de croix de Cussac et de St Geniez-ô-Merle. Il semble que les croix de Xaintrie doivent une bonne part de leur originalité à la survivance d’un lec’h antique.

La croix doit être tournée vers l'ouest parce que, selon la tradition, le Christ crucifié avait la tête à l'orient, les pieds à l'occident, les bras au nord et au midi ; la croix correspondant aux quatre coins de l'univers.

Certaines croix présentent des particularités inattendues
























Sur la face avant du socle, un cornet sculpté dans la pierre et surmonté d'une croix. Bénitier ou vase pour recevoir des fleurs des champs ? (Commune de la Chapelle Saint-Géraud - Corrèze)

















Ici, c'est un os qui est sculpté dans la pierre du socle.
(Commune de Mercœur - Corrèze)



















Et là, une urne creusée dans le socle servait de tronc dans lequel les passants pouvaient déposer de l'argent pour les pauvres.
(Argentat - Corrèze)




Quelques curiosités...
























Une croix pour se souvenir...






















Dans une cavité creusée au bas du fût figure cette inscription gravée sur une plaque de métal :

" Le 12 janvier 1866 dans l'exercice de ses devoirs de médecin, Jean Julien Félix CISTERNE, membre du Conseil Général, né le 3O janvier 1817, est mort d'une chute de cheval. Prié pour lui." Un coeur est sculpté au milieu de la croix.
(à proximité d'Auriac - Corrèze)

Certaines accusent le poids des ans

De la croix, il ne reste que le socle et le dé. (près de Saint-Privat - Corrèze)























(La Chapelle Saint-Géraud - Corrèze) / (Saint-Bonnet d'Elvert - Corrèze)



Des croix de remplacement, bonne initiative






















Nouvelle croix en granit / Nouvelle croix en bois
(Forgès au lieu-dit "Le calvaire" - Corrèze) (Saint-Bonnet les Tours - Corrèze)

Une croix rénovée

















Belle restauration, mais la sculpture représentant le Christ sur le croisillon est à l'envers. La partie supérieure avec la tête manquait, on a donc placé le croisillon comme on le pouvait...
(Près de Saint-Privat - Corrèze)





"Mon Dieu qu'il y en a des croix sur cette terre, croix de bois, croix de fer,
humbles croix familières, de silencieuses croix qui veillent sur le monde."
Chanson "Les croix" - Gilbert Bécaud

Croix de fontaine : Bretenoux (46) - Forgès (19)

Croix de Mission

Espagnac (19)
Cahus (46)










La Croix de Mission d’Argentat (Corrèze) est un beau modèle de croix en fer forgé. Un nombre important de symboles y figurent, rappelant le sacrifice de Jésus : le coq, qui rappelle le reniement de Saint Pierre – l’échelle, qui servit à hisser Jésus sur la croix – le marteau et les tenailles, outils de la crucifixion – le pichet contenant le vinaigre – le calice rappelant la Cène – la couronne d’épines…








A la signature de l’Edit de Nantes, en 1598, débutent les Missions, destinées à ranimer la ferveur du Catholicisme. Les Lazaristes, fondés par St Vincent de Paul en 1625, se consacrent spécialement aux missions dans les campagnes et ce jusqu’à la première moitié du XXème siècle. A partir du XVIIIème siècle surtout, les Missions se multiplient dans les paroisses. Les prêtres missionnaires organisent durant une dizaine de jours de nombreuses animations. Les Missions étant destinées à ranimer la ferveur du catholicisme, messes, processions et veillées de prière s’enchaînent, puis, pour fêter dignement la clôture de la Mission, on érige une croix.

Beaucoup de croix de Mission sont de grandes croix édifiées en bonne place dans le village. Elles sont selon l’époque d’origine en bois, en fer forgé ou en fonte. A partir de 1840, le développement de l’industrie de la fonte porte un coup fatal à l’art du fer forgé. La fonte convient spécialement à la confection de grandes croix de mission, élevées un peu partout au cours du XIXème siècle. Malgré leurs dimensions imposantes, toutes ces croix ajourées sont constituées de la répétition régulière de motifs qui engendrent une certaine monotonie et font regretter la saveur artisanale des fers forgés.